Créer des écoles sûres et inclusives : un impératif pour le maintien des filles à l’école en Côte d’Ivoire
En Côte d’Ivoire, de nombreuses filles continuent d’abandonner l’école trop tôt, freinées par les grossesses précoces, les violences sexuelles basées sur le genre ou le manque de connaissance en santé sexuelle et droits humains.
Pour y remédier, le gouvernement et ses partenaires se mobilisent pour créer des écoles sûres et inclusives. C’est dans cette optique que le Ministère de l’Éducation Nationale et de l’Alphabétisation (MENA), à travers la Direction de l’Égalité et de l’Équité du Genre (DEEG), avec l’appui du consortium de Socodevi et la Fondation Paul Gérin-Lajoie et le soutien financier d’Affaires Mondiales Canada (AMC), a conduit un diagnostic institutionnel dans le cadre de l’Initiative Femmes et Communautés Cacaoyères (IFCC).
Ce diagnostic visait à identifier les forces et les faiblesses du système éducatif ivoirien en matière de protection et de rétention des filles, et à proposer un Paquet Minimum d’Activités (PMA) pour renforcer la sécurité, l’équité et le bien-être des élèves.
Les verbatims présentés dans cet article proviennent d’entretiens anonymes réalisés dans le respect de la confidentialité des personnes participantes.

Des efforts réels mais encore peu institutionnalisés
L’étude met en lumière une mobilisation encourageante des acteurs scolaires et communautaires, mais souvent sans cadre normatif clair.
Un enseignant résume :
« En ce domaine, il n’y a pas encore de règlement, de politique mis en place. Pour l’instant, il n’y en a pas. »
Malgré cette absence de formalisation, certaines écoles innovent et prennent des initiatives locales pour protéger et accompagner les filles :
« Nous faisons une sensibilisation régulière des parents et des élèves pour promouvoir la scolarisation des filles. »
« Une association interne, l’Association des Femmes Leaders, a été créée pour accompagner les jeunes filles dans leurs difficultés. »
Le diagnostic a aussi révélé des bonnes pratiques locales à capitaliser :
« Le professeur de musique joue un rôle de père pour beaucoup d’élèves. »
« On leur dit, vous voyez, ce n’est pas seulement à la cuisine que vous avez votre place. »
Ces actions, souvent nées de l’engagement individuel, témoignent d’une réelle volonté d’agir. Toutefois, elles restent ponctuelles, dispersées et non durables, faute de reconnaissance et d’appui institutionnel.

La voix des élèves : entre espoir et insécurité
Les témoignages des élèves révèlent des avancées, mais aussi de fortes inégalités dans le traitement et la protection des filles à l’école.
Certaines perçoivent des progrès :
« Oui, les filles et les garçons sont traités de la même manière. On fait les mêmes choses, en mettant les filles et les garçons en compétition. »
Mais d’autres décrivent encore des pratiques marquées par les stéréotypes :
« Les filles balaient et les garçons nettoient le tableau. »
« La machette est pour les garçons, la houe pour les filles. »
Sur la question de la sécurité, plusieurs élèves soulignent un manque d’information et de règles claires :
« Moi, je n’ai jamais entendu ça. »
« On n’a pas vu de politique qui protège les filles contre le harcèlement. »
Certaines confient aussi leur difficulté à être entendues :
« Les éducateurs, ils te disent : je n’ai pas le temps, sors de mon bureau. »
Ces propos traduisent une attente simple mais fondamentale :
« Nous voulons juste qu’on nous respecte et qu’on nous écoute. »

Des espaces d’expression et de soutien à renforcer
Les clubs scolaires jouent un rôle central dans la construction de la confiance et de l’estime de soi:
« Le club d’anglais nous aide, car on apprend à mieux parler et à être à l’aise devant les autres. »
« Le Lady Club aide les jeunes filles, mais aussi les garçons, à mieux comprendre les questions liées au sexe. C’est un espace où chacun peut poser ses questions et trouver des réponses. »
Ces expériences montrent l’impact positif de la participation active et de la parole libérée. Elles soulignent aussi la nécessité de créer davantage d’espaces sûrs, confidentiels et accessibles à toutes les filles.

Des procédures de signalement encore floues
Les enseignants reconnaissent gérer les cas de violence ou de harcèlement de manière informelle :
« Il n’existe pas de procédure formelle de signalement. Nous agissons selon notre vigilance. »
« Quand il y a un cas, le directeur nous appelle, on s’assoit avec les parents… parfois c’est le chef du village qu’on appelle. »
Un éducateur met en avant le besoin de confiance et de confidentialité :
« Si elle se confie et que l’information ne sort pas, demain, elle sera prête à parler. »
L’absence de mécanismes clairs et de personnel formé limite la capacité des écoles à prévenir et à traiter efficacement ces situations.
Former, équiper et écouter
Les besoins de formation sont largement partagés par l’ensemble du personnel éducatif :
« On a besoin de formations sur la reconnaissance des signes de violence, la communication bienveillante et la prévention des grossesses précoces. »
« À part notre formation initiale, il n’y a pas d’autre formation reçue pour encadrer spécifiquement les filles. »
Le personnel éducatif souligne également l’importance des outils pédagogiques adaptés :
« En milieu rural, les enfants comprennent mieux avec des images. On a besoin d’affiches et de supports visuels. »
Côté élèves et parents, les priorités concernent les infrastructures de base :
« On doit séparer les toilettes des filles et des garçons et les nettoyer. »
« S’il y avait une cantine, les filles seraient maintenues à l’école. »
« Il faut clôturer l’école et avoir un gardien. »
Ces paroles rappellent que la sécurité, l’hygiène et la dignité sont perçues comme les premières conditions de réussite scolaire.
Un cadre d’action clair: le Paquet Minimum d’Activités (PMA)
Pour traduire ces constats en actions concrètes, le diagnostic a proposé un ensemble de mesures pratiques à mettre en œuvre dans les établissements.
Parmi elles :
- Afficher les mécanismes de signalement et les numéros verts dans les écoles ;
- Sensibiliser le personnel éducatif et les élèves aux textes et règlements en vigueur ;
- Informer les élèves et les parents sur le mécanisme de report de scolarité en cas de grossesse ou d’incapacité temporaire à poursuivre l’année scolaire.
Ces mesures, simples mais structurantes, visent à ancrer durablement la culture de protection et d’égalité au sein des établissements.
Conclusion
Les résultats du diagnostic IFCC rappellent une évidence : le maintien des filles à l’école dépend avant tout de la qualité de leur environnement humain et institutionnel.
Les écoles disposent déjà de ressources, d’expériences et d’une volonté d’agir, mais elles ont besoin d’un cadre clair, de formations continues et d’un appui durable.
Les initiatives observées montrent qu’un changement réel et durable est possible lorsque la communauté éducative s’engage autour d’un même objectif : protéger et soutenir les filles.
Faire de chaque école un espace protecteur, équitable et inclusif, c’est donner à chaque fille la possibilité d’apprendre, de s’épanouir et de bâtir son avenir sans peur.