Projet ÉDUFAM : Une avenue scolaire pour les filles-mères réfugiées

À quatre heures de Kigali, au Rwanda, non loin de la frontière avec la Tanzanie, un camp de réfugié-e-s accueille près de 55 000 personnes déplacées venant des pays voisins, dont la moitié est âgée de moins de 18 ans. Parmi ces personnes, de jeunes mères aspirent à accéder au circuit scolaire. Pour elles, comme pour leur enfant. Ces élèves se distinguent des autres devenues monoparentales à un très jeune âge. Pour réaliser leur intégration, l’École Paysannat LC, la plus grande au Rwanda, accueille 20 000 enfants du camp de réfugié-e-s et de la communauté d’accueil rwandaise. L’établissement a mis en place une série de dispositifs pour favoriser leur accès par l’implantation du projet Éducation des filles pour un avenir meilleur dans la région des Grands Lacs (ÉDUFAM). Témoignage de son directeur engagé pour la pédagogie sensible au genre : Jackson Muhanano.

Quand il est arrivé à l’École G.S Paysannat LC en 2019 ‒ l’une des cinq écoles d’un groupe scolaire plus large au Rwanda ‒ le nouveau directeur avait déjà eu vent par ses collègues de la situation des filles-mères. Avec la venue du nombre élevé de réfugié-e-s en 2015, le groupe scolaire Paysannat L est devenue le plus peuplé du pays et a donc été divisé en cinq écoles (A, B, C, D, E) avec chacune sa direction, pour une meilleure gestion. Une dimension en soi, occupant le quotidien du travail communautaire mené par la Maison Shalom, l’un des partenaires stratégiques du projet ÉDUFAM, soutenu au niveau national pour ses initiatives favorables aux préceptes de la pédagogie sensible envers les jeunes filles du camp de Mahama. Son rôle s’étend aussi à la résolution matérielle des lacunes en milieu scolaire et toute autre ressource matérielle pour garder les filles-mères à l’école. 

Comité de gestion scolaire inclusif
Au quotidien, Jackson Muhanano doit s’assurer que l’accès à l’éducation pour les filles-mères soit optimal. Il collabore étroitement avec ses pairs, agissant ensemble pour réduire les cas d’exclusion et éradiquer toute perception négative envers les filles-mères. Le corps enseignant reçoit une formation spéciale sur la pédagogie sensible au genre et l’éducation inclusive. L’objectif ? Les préparer à aborder et discuter des réalités et des besoins spécifiques des filles-mères, des sujets de la vie courante de ces élèves, sans tabou et avec ouverture. « Notre école est préoccupée et soucieuse de leurs défis de scolarisation, sachant que le défi de l’éducation en soi en est un. » Le personnel enseignant influence en première ligne par l’adoption des règles de la pédagogie sensible au genre. 

L’engagement des autres élèves est aussi sollicité. Des élèves garçons sont formés sur la pédagogie sensible au genre et le cas des filles-mères. Ils forment des clubs spéciaux de filles et garçons. Grâce à la pédagogie pour l’inclusion des filles-mères, les garçons deviennent aussi sensibilisés envers elles. Le sujet des violences sexuelles peut ainsi être abordé grâce au soutien professoral, à l’intérieur de l’école, relate M. Muhanano. « C’est le niveau le plus concret et le plus influent selon moi, car ce comité forme une assemblée qui se rencontre avec des objectifs à atteindre pour trouver des solutions au défi éducatif des filles-mères. Il est constitué d’un président, vice-président, secrétaire, parents, élèves et enseignants. »

Pour former un mouvement solidaire, le directeur collabore aussi de près avec les familles qui viennent participer à des rencontres lors desquelles elles bénéficient de conseils pour les sensibiliser à se comporter adéquatement avec leurs filles, sans les freiner dans leur cheminement scolaire. « Nous sommes conscients que sans l’appui des parents auprès de leurs filles, la performance scolaire ne suivra pas. C’est pourquoi chaque formation implique les parents, les membres enseignants, le personnel administratif, les gestionnaires des villages ciblés, amis des familles et bien d’autres », soutient M. Muhanano qui attribue le succès à la communication maintenue aussi plus largement avec les voisins des familles concernées et des échanges téléphoniques soutenus.

Éducation pour l’autonomisation
Fier du succès et des résultats du projet ÉDUFAM au sein de son établissement scolaire, Jackson Muhanano confirme le bien fondé par plusieurs cas de réussite scolaire de filles-mères. En 2023, une étudiante enceinte a même réussi l’examen de niveau six. Une trajectoire qui lui tenait particulièrement à cœur. « J’ai beaucoup discuté avec elle, car elle n’a pas de père. Ce dialogue lui procure de la confiance, ainsi qu’auprès de plusieurs autres filles dans son cas qui réussissent leur cursus scolaire. Elles font preuve de courage. » 

L’atteinte de ces succès implique un mécanisme de rétention scolaire face auquel plusieurs défis se dressent. L’un des plus tenaces réside dans les mentalités et le changement de perception de la place de la jeune fille-mère, en lui accordant un autre rôle que celui de la gestionnaire du foyer et des tâches ménagères. Il faut donc ériger des structures afin de surmonter ces écueils et créer un milieu propice à leur réussite scolaire. Parmi ces moyens : l’apport des écoles sensibles au genre et la mise en marche d’un plaidoyer pour les droits des filles, le droit à l’éducation. 

Autre innovation du bien-fondé du projet ÉDUFAM : la création des espaces sûrs (Girls’ Room) à raison de trois chambres, quatre lits et une salle de bain munie de douche. Ce sont des lieux de repos et de bien-être destinés à des centaines de filles-mères de l’école lors de moments de fatigue causés par la grossesse ou les menstruations par exemple. Ces espaces leur permettant ainsi de se reposer entre deux leçons et d’éviter de rentrer chez elles au risque de rater l’école. Au départ, il y en avait une seule, puis les besoins se sont accrus naturellement. « On remarque un accroissement de la confiance des filles par ces approches sensibles au genre et même au niveau du District, et peu à peu, nationalement au Rwanda », témoigne le directeur, mentionnant aussi l’apport économique du projet ÉDUFAM dans l’implantation d’autres projets pour les filles entrepreneures, des sources de revenu pour assurer les besoins financiers pour leur enfant comme pour elles-mêmes. 

Contrat social pour l’éducation des filles-mères
Le projet ÉDUFAM se déploie entre les diverses parties prenantes selon les termes d’un contrat social. Car pour le directeur, le défi d’accès concerne tout le monde. C’est la raison d’être du contrat social qui s’élabore dans une perspective interactive entre chaque pôle d’influence, dont les groupes communautaires activement impliqués. Cet élément assure une cohésion et un engagement non seulement des partenaires, mais aussi du District, des communautés du camp de réfugiés et des parents. Beaucoup d’étudiantes hors du circuit scolaire sont ainsi prises en charge pour un retour en classe.

Au terme du projet, ce sont près de 10 000 filles scolarisées qui auront vu leur éducation améliorée au Rwanda. Le projet ÉDUFAM est réalisé en consortium entre la Fondation Paul Gérin-Lajoie et le CECI et bénéficie de l’appui financier du gouvernement du Canada par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.

Projet ÉDUFAM : https://fondationpgl.ca/projets/edufam/