Deux femmes d’exception

Récit de Marie-Françoise Joly, Éducatrice sans Frontières

De retour d’Haïti en tant qu’Éducatrice sans Frontières*, j’aimerais vous partager de nouveau mes réflexions. Je ne vous parlerai pas des difficultés d’Haïti, de la lenteur des changements, de la marche désespérante vers la démocratie, de l’ensablement des institutions, de la succession de catastrophes climatiques, Irma, José, Maria, suivies d’inondations sévères… Je veux aujourd’hui vous parler de deux femmes exceptionnelles que j’ai eu la chance de côtoyer à Jacmel, chacune dans un domaine particulier et qui ont su changer leur monde pour le mieux.  L’une est active dans le domaine du commerce, l’autre dans le domaine de l’éducation. Deux parcours fort différents et pourtant qui ont beaucoup de points communs : la persévérance, l’enthousiasme, l’implication dans le travail et la volonté de réussir.

Ces deux femmes ont été élevées et ont  fait leurs études au Québec et sont revenues en Haïti pour s’y installer de façon permanente et y faire leur vie.

esf 1La première, que j’appellerai madame H, s’est installée à Port-au-Prince, pour y monter un petit commerce de pâtisserie. Elle l’a fait grandir et prospérer. Lorsque la situation a dégénéré à Port-au-Prince, elle a décidé de tout vendre et revenir dans sa ville natale, Jacmel. Là, elle a ouvert une petite épicerie, genre dépanneur. Et de nouveau, elle l’a fait grandir et prospérer. Ce commerce est devenu un «super market» digne de plusieurs de nos grandes épiceries. Ce fut un travail long, exigeant, sortant de l’ordinaire, dans une société telle que la société haïtienne, et en plus en tant que femme. À l’âge de la retraite, elle a décidé de s’adonner à son passe-temps préféré, le jardinage. Elle a vendu son épicerie, a acheté un petit hôtel (celui où nous logions) et a transformé le terrain autour en petit jardin botanique, un havre de paix. Elle emploie six jardiniers à temps plein et à ouvert une pépinière où elle vend les plantes cultivées par leurs soins.

Les temps sont durs là-bas, le tourisme périclite, mais contre vents et marées, madame H tient bon la barre … et chouchoute les Éducateurs sans Frontières : elle se souvient de ses talents de cuisinière et de pâtissière et n’hésite pas à nous faire de bons petits plats et des desserts succulents.

La deuxième, que j’appellerai madame V a fait ses études et a travaillé au Québec pour revenir s’installer près de Jacmel à l’âge de la retraite. Voir deESF 2 très jeunes enfants traîner dans la rue alors qu’ils auraient dû être à l’école la désespérait. Elle a alors décidé d’ouvrir une école pour ces enfants livrés à eux-mêmes, parfois depuis l’âge de six ans. Sous une simple paillote sur le bord de la plage, avec quelques tables-bancs, un tableau et de la craie, elle a accueilli une vingtaine d’élèves. L’école a grandi, toujours avec des enfants provenant de ce milieu particulièrement défavorisé  (elle a adopté plusieurs d’entre eux qui étaient sans famille) et a su convaincre une des deux compagnies de téléphone en Haïti, Digicel, que l’œuvre qu’elle entreprenait méritait d’être soutenue et de financer la construction d’une école en dur. Trois classes lui ont été offertes, non plus sur le bord de la plage, mais sur le flanc de la montagne. Et cette femme de plus de soixante-dix ans grimpe allègrement ses vingt minutes de marche chaque jour. Elle est repartie en croisade et a obtenu l’aide d’une ONG, Terre des Hommes Suisse, qui finance depuis douze ans les salaires de ses enseignants et qui lui a construit un autre bâtiment, permettant à son école d’atteindre le nombre de 9 classes. Sans relâche, elle cherche des donateurs et a pu ainsi offrir à  ses élèves l’eau potable, un repas par jour et un enseignement de qualité (qui inclut deux choses «essentielles» en Haïti, la discipline et les uniformes!). Actuellement, elle installe une bibliothèque et une salle multimédia : projecteur et piano ! Elle met sur pied un jardin communautaire (principalement une bananeraie et un jardin potager) pour créer une activité pédagogique en même temps que lucrative, source de revenus qui aide à financer l’école, les frais administratifs demandés (et pas toujours payés) étant dérisoires.

Par contre deux pensées crève-cœur la poursuivent : le manque de soutien des services sociaux et du ministère de l’Éducation ainsi que le manque de relève. Qui va continuer son œuvre une fois qu’elle devra arrêter de travailler ? Qui va accepter cette tâche non rémunérée et exigeante? En attendant, elle éclate d’enthousiasme et de verdeur, elle court, elle rit, elle chante, elle rencontre ses amies (dont madame H), elle empoisonne la vie de ses donateurs actuels et futurs, elle continue à recueillir des enfants perdus et s’implique totalement dans son école. Ce qui la tient en santé : se baigner chaque jour dans l’océan qui se trouve à sa porte pour se ressourcer et … s’hydrater. Bonne chance madame V.

*Les Éducateurs sans Frontières sont des bénévoles à la Fondation Paul Gérin-Lajoie

 

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