L’éducation aux lois en matière d’égalité en Haïti

Maître Mona Jean a rejoint le consortium PASSREL – Projet d’Appui à la santé sexuelle et reproductive égalitaire lancé en Haïti le 5 juillet 2022. Déjà, son engagement s’exprime par une envie concrète de voir des jours meilleurs pour les adolescentes et les femmes de la Commune de Croix-des-Bouquets.

Depuis quand êtes-vous impliquée et quel fut le déclencheur ?
Depuis l’automne 2022, j’ai adhéré à PASSREL pour son côté innovateur, et pour faire une différence face à la situation socio-politique en Haïti, plus précisément le territoire d’implantation dans la Commune de Croix-des-Bouquets. Un milieu de non-droit, où sévissent les gangs de rue, de jour comme de nuit. Cela n’a pas contraint Affaires mondiales Canada à y ériger PASSREL, ce qui confirme qu’il s’agit d’un choix ambitieux porteur d’espoir qui a attiré mon attention. En tant que personne engagée dans le combat du changement social en Haïti, je crois qu’un pays ne meurt jamais ! Chaque citoyen et citoyenne doit pouvoir apporter sa construction sociale. 

En tant qu’avocate et travailleuse sociale, vous conseillez des jeunes venant de milieux défavorisés et marginalisés. Votre rôle au sein de PASSREL vous permet aussi d’apporter votre expertise juridique, comment le concevez-vous ?
Il faut savoir qu’Haïti est membre fondateur des Nations Unies. Le pays a signé et ratifié des conventions en matière de droits de la personne. Il faut parler de la personne sans considération aucune, toutes catégories sociales confondues, comme le dit l’article 2 de la Déclaration universelle des droits humains. Avec la ratification du pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, on peut se demander dans quelle mesure s’inscrivent les droits à la santé.

Suite au tremblement de terre en 2012 en Haïti, l’une des recommandations consistait à ratifier ce pacte. Sinon, il n’y avait aucune obligation. Pour moi, le droit à la santé est encore une lutte à mener dans le respect des droits de la personne. En dépit de l’article 19 de la Constitution nationale qui est une obligation de l’État de garantir le droit à la vie, à la santé. Il s’agit d’un engagement qui s’inscrit dans cette constitution d’État de droit à revoir. On touche aux sciences sociales, il faut dynamiser les choses en la matière ! Je suis aussi travailleuse sociale, engagée auprès de toutes les communautés vulnérables. La personne d’abord, son statut social et son niveau intellectuel ensuite. Les femmes sont parmi les groupes les plus marginalisés pour plusieurs raisons. 

Quelles sont ces raisons ?
Haïti baigne dans une société patriarcale. L’homme mâle y est supérieur. On y cultive des idées, des tabous, des stéréotypes dans nos chansons et nos proverbes qui ne font qu’inscrire la femme dans une situation dévalorisante. Au niveau socio-économique, il faut voir la condition de la femme selon le paramètre de sa classe sociale pour saisir la situation globale de la femme. Elle est marginalisée dans la structure sociétale si elle est une mère de famille célibataire, par exemple. Puis marginalisée au niveau intellectuel par un hermétisme d’accès à l’éducation, à la compréhension de ses droits et à sa valorisation. Les femme ignorent qu’elles ont droit d’accéder aux valeurs de dignité, d’égalité et de liberté, des valeurs fondatrices de la Déclaration universelle des droits de la personne. En Haïti, on pense que ce n’est pas nécessaire que les femmes le sachent car elles forment un groupe marginalisé à deux niveaux : comme citoyenne, et comme femme. Malgré une semblant de décantation entre les classes sociales, une femme vivant dans une société patriarcale et machiste comme la nôtre devra toujours s’imposer par une lutte perpétuelle pour se faire respecter et faire valoir ses droits. Et ce, dès son plus jeune âge.

Comment êtes-vous perçue en Haïti ?
Comme une sorte de rebelle. J’ai commencé à 17 ans à faire de la politique.
J’ai toujours été engagée auprès des personnes de quartiers défavorisés pour leur apprendre à lire et à écrire. Pour moi, ce ne sont pas des privilèges mais des droits. En Haïti, on a tendance à les limiter à un privilège. À l’université, j’ai commencé à prendre conscience de la problématique légale des femmes par un article pénal qui évoque que le meurtre de la femme par son époux lors d’adultère est excusable. Cela m’a renversée ! On a pourtant la ratification de la convention CEDEF
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979), et la convention Belém do Pará – Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme (1994). C’est comme si la femme était réduite à un objet, quelque soit votre niveau intellectuel, on vous y cantonne. On vous demande ce que vous avez réalisé, si vous êtes mariée. C’est la division sexuelle ! Les études réalisées par une femme ne comptent pas dans le droit par rapport à son statut. 

Le droit à l’identité est le premier droit humain. Une femme n’est pas forcée de prendre le nom de son mari. Je suis mariée mais je ne prends pas son nom. En Haïti, une femme non mariée n’existe pas. Seul le poids de l’époux importe. C’est toute une conception de socialisation qui passe à travers ces canaux de transmission de valeurs. Il faut maintenir la femme au statu quo, qu’importe son niveau intellectuel ! Être désignée féministe est comme une infraction. Il faut oser avancer. Avant d’être homme ou femme, on est une personne. Aucun sexe n’est supérieur à l’autre. On ne peut constituer une société qui cause tant de préjudices à la femme.

Quel sera le plus grand défi PASSREL pour atteindre les 60 000 cibles ?
Confronter la situation macroéconomique et socio-politique sera un défi par rapport à la zone d’intervention de la Commune de Croix-des-Bouquets. Mais il s’agira à terme d’une motivation, d’une satisfaction d’avoir réalisé quelque chose pour le mieux-être des femmes.

Quel espoir insufflera PASSREL en Haïti ?
Je souhaite que le projet arrive jusqu’aux oublié·e·s, aux laissé·e·s pour-compte. Auprès de celles et ceux qui n’ont pas accès à la santé. On ne peut vivre sa vie sans avoir la santé, sans être une fois passé par une clinique. PASSREL s’adresse aussi aux adolescentes, les femmes de demain. Par son innovation de quota d’au moins 30 %, il faudra voir comment influencer les milieux décisionnaires. 

Face à l’enjeu des mères célibataires qui n’ont aucune possibilité d’aller à l’école, il faut qu’elles puissent prendre des précautions pour ne pas être enceintes contre leur gré. Cela leur cause des préjudices au présent et hypothèque leur futur. PASSREL viendra aussi auprès de cibles dénuées de moyens pour accéder à des soins de santé satisfaisants qui tiennent compte de la personne dans son intégralité. Telle est la beauté du projet. Et ces passerelles entre le respect des droits de la personne et la santé…