« Mettre l’accent sur l’autonomie et la sauvegarde des acquis. »

Découvrez le parcours de Adjiwanou Hindé, partenaire de la Fondation depuis 2003. Il nous explique les grands enjeux du développement au Bénin.

Pouvez-vous vous présenter et parler de votre travail en partenariat avec la Fondation Paul Gérin-Lajoie?
Adjiwanou Hindé : J’ai 53 ans et je travaille pour l’APRETECTRA depuis 1997. Je suis Béninois d’origine, mais Togolais de naissance et j’ai été affecté au Bénin, à Comé. J’ai commencé par le poste d’animateur principal et effectué une formation d’assistant social en agriculture et assainissement et eau. Je travaille sur les projets de la Fondation Paul Gérin-Lajoie, depuis 2003.

Sur quels types de projets avez-vous travaillé?
Il y a eu par exemple le PIPROF, projet intégré pour la promotion de femmes chef de ménage. Nous avions remarqué qu’à Grand Popo, la capitale administrative, certains enfants ne mangeaient pas pendant la récréation. Nous nous sommes rapprochés des enseignants-es qui nous ont dit que les pères de ces enfants n’étaient plus avec leurs mères. Ils avaient quitté leur famille pour d’autres pays, le Gabon, la Côte d’Ivoire pour tenter d’y trouver du travail notamment comme pêcheur, puisque la côte béninoise n’est plus poissonneuse. Arrivés là-bas, ces hommes fondent d’autres foyers et les enfants et la première femme sont oubliés au Bénin. Elles se retrouvent à devoir gérer tout toutes seules : activité professionnelle, éducation des enfants et gestion du foyer. Nous avons donc développé un projet de micro crédit pour aider ces mères à développer leurs activités et accompagner leurs enfants à travers les cours du soir. Nous donnions aussi des fournitures et des uniformes pour que les enfants puissent continuer l’école.

Qu’est-ce que le projet PASAAN ?
Le projet d’appui à la sécurité alimentaire et à l’amélioration nutritionnelle a démarré en 2011 et comporte trois volets : production végétale, transformation post récolte et nutrition. Pour le premier volet, nous avons accompagné les agriculteurs en mettant l’accent sur la culture des bananiers plantains suite à une étude qui a révélé que dans la zone où nous travaillons, les gens ne maîtrisent pas certains aspects de technique de production. Le projet a coopté des spécialistes de l’INRAB, l’Institut national pour la recherche agronomique au Bénin, qui sont venus former les producteurs et productrices pour améliorer leur production. En quatre ans, nous avons formé 162 producteurs et productrices, dont 12% de femmes. Après la formation nous demandons aux producteurs d’installer un champ école sur 1600 mètres carrés suivi de près pour voir la progression en y appliquant les techniques de la formation. Le rendement a été amélioré très nettement et la période de floraison a commencé beaucoup plus tôt qu’avant, ce qui a permis aux producteurs de mesurer l’utilité de leur formation .

Concernant le volet de transformation post récolte, le projet a permis de former les femmes qui interviennent dans la transformation des produits de base. Le manioc est transformé en gari, la noix de palme en huile rouge et la banane plantain en chips et en beignets. Nous avions coopté des techniciens des lycées agricoles qui sont venus former les femmes pour garder les éléments nutritifs, et assurer l’hygiène, la conservation et l’entretien des produits. Nous avons également appuyé en petits équipements les producteurs et transformatrices (houx, coupe-coupe, bêche, bassines, marmites, etc.).

Votre philosophie, c’est de privilégier l’accompagnement.
Oui, car nous ne pouvons pas nous substituer aux bénéficiaires pour les éduquer vers leur autonomisation. Nous donnons aussi des micro crédits pour avoir un accès rapide à la matière première qui était un enjeu très important.

Le troisième volet concerne la nutrition?
Ainsi que l’hygiène alimentaire. Pour ce projet nous avons reçu des stagiaires QSF  venus travailler avec nous sur le développement des outils, la formation des relais communautaires en vue de développer l’éducation nutritionnelle dans les villages. Après le départ des stagiaires, le suivi est assuré par les responsables de l’APRETECTRA. Nous avons pu développer beaucoup d’outils sur la nutrition, outils que nous avons laissés dans les villages et les centres de santé ou des écoles. Nous avons aussi développé des jardins scolaires dans des écoles à cantines dans les milieux reculés qui permettent aux enfants de rester à l’école pendant la pause de midi.

Car ce sont des enfants qui marchent beaucoup pour aller étudier?
Oui, ils font parfois quatre à cinq kilomètres et traversent la brousse, c’est épuisant. Les conséquences sont qu’ils ont moins de concentration et beaucoup de difficulté à apprendre. Nous avons aussi enseigné aux gens à consommer local. Nous avons une grande diversité de produits chez nous, il faut donc en profiter !  Avec cela nous avons bénéficié du projet AFR (Autonomisation des femmes rurales) qui mettait de l’avant l’égalité homme-femme et les activités génératrices de revenus et a permis l’élaboration d’outils pour préserver ces bonnes pratiques.

Qu’est-ce que vous avez appris, à titre individuel grâce à ces projets?
Je suis devenu presque un expert sur ces sujets. J’ai progressé en technique, au niveau de la gestion d’équipe, l’organisation de groupes de travail, en leadership, et en partage des rôles. La nutrition est aussi un sujet où je suis devenu très à l’aise et j’ai tout récemment fait l’introduction à une rencontre provinciale sur ce thème et j’ai fait une formation sur la nutrition. Je mange aussi différemment avec ma famille. Je suis très fier de cela aussi. Je suis aussi plus à l’aise avec le milieu paysan. Psychologiquement, sociologiquement je sais comment les aborder sans les frustrer.

Quels sont les plus grands défis que le milieu rural béninois doit surmonter?
Les gens n’ont pas toujours accès à l’information sur divers plans car le milieu est trop cloisonné. Il faut aussi leur apprendre que c’est eux-mêmes qui doivent réaliser leurs propres développements. Nous devons prendre à bras le corps notre propre développement et mettre l’accent sur l’autonomie et la sauvegarde des acquis.

Quelles différences dans l’état d’esprit avant et après le projet?
Les gens pensent que le projet va tout faire. Nous leur expliquons que le projet est là pour les renforcer et les amener vers l’autonomisation afin que les effets et les impacts continuent de se voir à travers le temps. Nous devons donc les conscientiser sur ces faits pour aller vers le développement et ensuite étendre notre action. Car d’autres personnes ont aussi besoin de nous.

Est-ce efficace ?
Oui! Certains paysans nous l’ont témoigné. Ce qu’on leur a enseigné ils en ont vu les résultats. On les a mis à l’épreuve : ils ont travaillé sur leurs propres champs-écoles, en gardant leurs anciens champs pour qu’ils fassent une comparaison, sous la supervision de leur propre équipe. Il y a donc des producteurs qui deviennent aussi témoins. Des voisins viennent voir leurs façons de travailler, repartent et copient alors qu’ils ne sont même pas nos bénéficiaires! Il y a une vraie transmission, une préservation des acquis de la formation. C’est donc une preuve supplémentaire de succès. Il y a une femme qui a commencé avec 1600 m2 et qui a aujourd’hui 4 hectares. Elle nous a témoigné que c’est grâce à la plantation que deux de ses enfants peuvent poursuivre des études universitaires à Cotonou, la capitale économique. Dans ce couple, le père a compris qu’il devait accompagner sa femme dans les développements de la plantation et il travaille régulièrement avec elle. Pour les transformatrices leur production est aujourd’hui de très bonne qualité et les clients sont prêts à faire plusieurs kilomètres pour se fournir chez elles.

Est-ce que les producteurs sentent les conséquences du dérèglement climatique?
Certains paysans bien informés savent déjà et nous en parlent! Bien sûr nous leur en parlons depuis plusieurs années et nous travaillons beaucoup sur la maîtrise de l’eau. Un bananier plantain a besoin de cinq litres d’eau par jour donc nous avons travaillé sur l’irrigation pour permettre à ces producteurs de poursuivre leur culture pendant la saison sèche.

De l’autre côté, il y a les inondations qui viennent empêcher et détruire les cultures de nos producteurs. Hélas, nous n’avons pas les capacités d’éviter cela. Elles sont aggravées par le barrage hydroélectrique de Nangbéto construit il y a 25 ans, le long du fleuve mono qui n’a pas prévu de digues pour éviter qu’au moment où le surplus d’eau est déversé annuellement, tous les champs en aval soient inondés en trois jours. La déforestation massive des berges pour se procurer du bois de chauffe ou pour récupérer de l’espace agricole ou citadin est aussi à l’origine de cette catastrophe humanitaire.